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Light (Suite)
Maurice Béjart

JOURNAL

Début 1979

À la demande de John Neumeier, je songe à un travail destiné au Ballet de Hambourg. Mon choix se porte sur Vivaldi, musicien mal connu, et en particulier dans ses musiques religieuses. Un montage musical est fait. J’hésite entre deux titres Light ou Caro Antonio.

Décembre 1979
Le travail préliminaire est achevé et le projet remis à Hambourg avec des maquettes de décors et costumes de Alan Burrett.

Printemps 1980
Au moment de me rendre à Hambourg pour travailler avec le Ballet, une chute me contraint à l’immobilité pour deux mois. Le contrat est remis à beaucoup plus tard.

Début 1981
Gérard Mortier prenant la direction de La Monnaie me demande un ballet nouveau pour ouvrir la saison. Nous passons en revue divers projets que j’ai en préparation. Vivaldi le séduit et je décide de reprendre ce travail. Mais il est nécessaire de repartir à zéro, les idées, même mises momentanément de côté, évoluent et se transforment. Et puis, chaque compagnie, comme chaque danseur, a son visage. La chorégraphie (je le crois de plus en plus) n’est pas du prêt-à-porter, mais du sur mesure.

Juillet 1981
Venise. Cinq semaines. Le Festival de la Danse. La ville de Vivaldi où le monde entier se retrouve. Je recommence un montage musical (I’oeuvre de Vivaldi est si vaste, si riche), un montage différent. Peu satisfaisant. Mon travail stoppé. L’impasse. Ou plutôt le labyrinthe, à l’image de cette ville que je connais si bien et où je me perds toujours. Soudain, un peu comme au détour d’une ruelle étroite, sombre, humide, surgit un immense « campo » balayé de lumière et saupoudré d’oiseaux, une vision s’impose : Deux villes sur l’eau. Venise, et loin, San Francisco; entre les deux villes un pont, tel le Rialto, Arc-en-ciel sur lequel des garçons et des filles dansent. Ces deux villes s’enfonçant dans l’eau, soudain, mais de la mer une plate-forme lumineuse surgit et s’envole vers le ciel, portant des êtres qui tournent inlassablement dans la lumière.

Dès lors, le travail va très vite. J’introduis, entre les grandes séquences de Vivaldi, des pièces d’un jeune groupe de San Francisco que j’aime beaucoup, The Residents, puis d’un autre ensemble qui travaille avec eux, Tuxedomoon, et un montage nouveau s’élabore.

D’autres visions
La naissance – Une femme enceinte – Donner le jour – Un chercheur d’or – Une dame masquée qui semble peinte par Longhi – Une île près de Venise : San Francisco del Deserto, où Saint François a abordé en revenant de Terre sainte… San Francisco – La mer – Le désert, un homme en Blanc tourne… tourne… pourquoi son chapeau est-il le même que celui des Pulcinella de Tiepolo ? – La naissance – Une femme donnant vie à une femme – Une femme légère et qui porte la lumière – Un grand seigneur… Don Juan, Casanova ? Et puis bien sûr, le prêtre Roux – Caro Antonio.

Venise
Je demande à Bernard de Coster un environnement lumineux différent des lumières théâtrales et à Nuno Côrte-Real d’habiller les rêves et les corps. Je travaille. Oublier les visions. La chorégraphie est musique et architecture. Pas d’anecdote. Laisser les personnages rêvés vivre leur vie et former des structures précises, mathématiques. Construire une succession de Fugues comme la musique de Vivaldi qui se déploie, vigoureuse comme les bâtiments de Palladio.

Deux chiffres de base pour le travail : trois et quatre et bien sûr trois plus quatre qui font sept, et trois fois quatre qui sont douze. Trois. Quatre. Sept. Douze. La Musique. Les formes. Construire dans l’abstrait.

Bruxelles, début août 1981
Première répétition. Eux et moi. Les corps sont là, devant moi. Hâlés par le soleil. Heureux de retrouver leurs muscles. La chorégraphie se fait à deux comme l’amour. Avec ferveur, patience, enthousiasme, humilité, souffrance, joie. Light*

Maurice Béjart

 

*Ce ballet est dédié à Carolyn Carlson qui, enceinte, dansait à Venise, plus lumineuse que jamais.

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