Anoush Abrar

© BBL - Anoush Abrar
  • VOIR LA GALERIE
Anoush Abrar
Carte blanche

Deux fois par année, le Béjart Ballet Lausanne donne carte blanche à un artiste suisse pour la création d’un travail original inspiré par la compagnie.

Dansons ensemble

 

« Mon but était de rendre ces danseurs désirables. Ils sont tous sont tellement beaux ! Je devais trouver un moyen de rendre cette dimension proche du fantasme. La question était de savoir comment susciter le désir de ces corps, de ces intelligences, de ces artistes », note le photographe Anoush Abrar, auquel le BBL a confié la réalisation du présent portfolio.

Portraitiste et photographe de mode à la solide notoriété, Anoush Abrar n’avait jamais pris d’images de danse auparavant. L’univers ne lui était toutefois pas inconnu : « Étudiant à Lausanne, je livrais des médicaments pour gagner un peu d’argent. J’en apportais parfois au BBL. J’ai également tiré parti, une fois, des espaces de la compagnie pour un shooting de mode. Et je me suis occupé de la communication du Prix de Lausanne pendant deux ans. Au-delà de ces activités ponctuelles, j’ignorais tout de la danse comme art. Ce n’était d’ailleurs pas ce qui m’intéressait. Je voulais prendre des portraits de femmes et d’hommes, non pas saisir le geste savant d’un danseur en pleine action. »

Anoush Abrar a opté pour un dispositif minimaliste de prise de vue. Il a investi une salle du BBL souvent utilisée pour des répétitions, éclairée par de banals néons qui ont été son unique source de lumière. Un fond de couleur neutre, un appareil reflex rapide, des modèles vêtus de leurs simples tenues de répétition, voilà tout. « C’est à partir de là que je devais me montrer inventif. Mon sujet était le Béjart Ballet Lausanne, tout de même ! Il fallait que je sois à la hauteur de cette créativité. »

Le photographe a dès lors créé sa propre chorégraphie visuelle. Il a demandé aux danseurs d’esquisser, lentement, un geste devant son objectif. Comme tourner la tête, bouger un membre, se relever, s’étirer. « Je voulais capter l’origine d’un mouvement, avant que le corps accélère soudainement. Je cherchais l’énergie concentrée, vibrante, qui précède l’explosion expressive. »

En utilisant une vitesse d’obturation relativement lente, un quart de seconde, en bougeant un rien son appareil, Anoush Abrar a réussi à rendre cette essence de mouvement. « C’était difficile. Il ne fallait pas en faire trop, ni pas assez. Je voulais que l’on danse ensemble, eux avec leurs corps et leur personnalité, moi avec mon appareil. Le réglage de cette chorégraphie commune n’a pas été simple. Mais je crois y être arrivé. »

Le photographe a ensuite peu retravaillé ses images. Il a juste donné, à la postproduction, une teinte dominante beige à sa série. Elle ajoute chaleur, douceur et homogénéité aux portraits. L’autre constante est le flou, si évocateur de la nature profonde, toujours en mouvement, de ces artistes. Outre la qualité esthétique du propos, la dimension existentielle de la danse et de son implacable exigence transparaît ici avec force.

Né en 1976 à Téhéran, Anoush Abrar est arrivé en Suisse à l’âge de 5 ans. Il se destinait à des études d’ingénieur, mais l’envie de contact humain l’oriente vers l’ECAL, où son dossier de candidature n’est pas retenu. Mais Pierre Keller, directeur de l’école à l’époque, sait que les talents, au début, ne savent pas toujours se vendre. Après avoir découvert le portfolio du jeune homme, le directeur lui donne une chance, à l’essai et épicée du traditionnel commandement kellérien : « Il va falloir bosser ! »

Anoush Abrar a bien bossé, à tel point qu’il est professeur à l’ECAL depuis 2003. Ses portraits ainsi que ses photos de mode sont publiés dans de nombreux magazines suisses et étrangers. Il a été exposé trois fois, dans le cadre d’un concours international, à la National Portrait Gallery de Londres. Il s’intéresse aussi bien aux milieux populaires des Balkans qu’aux stars du cinéma, traitant ses modèles avec la même simplicité et le même enthousiasme communicatif. Alors on danse ?

 

Luc Debraine

Journaliste, directeur du Musée suisse de l’appareil photographique de Vevey

Cette fonction a été désactivée