TOUS les hommes presque toujours s’imaginent est une œuvre hors-norme, d’une ardente radicalité poétique – on a rarement applaudi une création à la théâtralité si dense, si référentielle et si sensuelle qui repousse loin toutes les frontières de l’art.
« C’EST ce que je fais qui m’apprend ce que je cherche » disait Soulages qu’admire Gil Roman. Il en va de même ici avec une acuité, une générosité folle, une liberté extrême et extatique. Se présentant sous la forme d’un long voyage aux allures de traversée immobile, ce ballet, qui emporte tout sur son passage, peuplé de sortilèges, d’apparitions, d’anges et d’incantations, fait de la danse un état. Un acte d’amour, l’œuvre d’un artiste dans le miroir de son époque.
IL N’Y A que la vie qui intéresse le chorégraphe. Avec cette création, c’est toute la vie – et rien que la vie ! – qui embrase le plateau, on la voit s’élever, pleine, zébrée d’incertitudes, de mélancolie et de désespoirs à peine contenus. Sur scène, Elle et Lui. Et toute la compagnie, pèlerins naufragés, couples enchanteurs et enchantés, les pas admirables des rêves aux semelles de vent, des ruptures, des fuites.
ELLE ET LUI. Elle, muse et déesse surgie des eaux et des songes, Jasmine Cammarota. Lui – Vito Pansini, quel acteur-danseur ! – corps rejeté sur la plage. Flux et reflux, écume du temps, tourment, solitude. Plus loin, dans le fond de la scène, un mur. De ceux qui séparent et révèlent deux univers. Devant et derrière, enfer et paradis. Quelque chose de Dante et de Géricault, le peintre. De Soulages encore et ses outre-noirs libérant leurs secrets. Ajoutons Münch pour dire ici que Tous les hommes presque toujours s’imaginent est un cri à l’humanité.
Stupéfiant !*
Patrick Ferla – journaliste et écrivain (6 avril 2019)
PS : Tous les hommes presque toujours s’imaginent est emprunté à un livre de l’auteur suisse : Ludwig Hohl (1904-1980), livre paru aux Editions de L’Aire. Enfin, cette création a bénéficié de l’expertise de Marc Hollogne pour les vidéos. Marc Hollogne, qui signe l’écriture et la mise en scène de Dixit (sur des chorégraphies de Maurice Béjart et Gil Roman), spectacle Cinéma-Danse-Théâtre au Théâtre de Beaulieu (11-16 juin).
*À l’issue de la représentation de Brel et Barbara, après les saluts et de manière impromptue – quel cadeau ! – Gil Roman a interprété le solo que Maurice Béjart avait conçu pour lui sur une chanson de Brel, Avec élégance.
Irradiant, époustouflant !
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